A l'origine, il y probablement Roxy Music et David Bowie, mais les souvenirs sont confus… Le début est toujours délicat. C'est sans doute exilé en Allemagne, pays beaucoup plus électrique que le Pas-de-Calais ou la Côte d'Azur, que Gérard découvre Klaus Shultz, Can, Neu et Kraftwerk. Immédiatement séduit par ce courant froid, minimaliste et répétitif, il achète un synthé, une boîte à rythme et enregistre solo ses premières chansons. Il chante les objets du monde qui l'entoure : le plaisir de fumer une cigarette, la joie de marcher dans la rue, l'obsédante diode rouge de l'amplificateur Hitachi du salon… La musique devient rapidement un nouveau psychotrope, et rares sont les nuits où il ne laisse pas les oscillateurs et les générateurs d'enveloppe dérouler infiniment leurs nappes psychédéliques jusqu'à la granulation infinitésimale et le bruit blanc du matin où le vombrissement des moteurs des volkswagen envahit à nouveau l'autoroute qui serpente entre les usines. Les bandes magnétiques accumulent mécaniquement des projets qui n'ont pas encore d'autre ambition que d'exister.
Cati, de son côté, étudiante à l'école des beaux-arts de Lyon, peint des anatomies violentes sur les murs de sa chambre, utilisant les fissures et les irrégularités des murs comme texture de ses peaux décomposées. Il n'est pas encore question de musique. D'un point de vue sonore, il n'y a que la voix d'Artaud ou celle de Georges Bataille diffusées par France Culture qui couvre les bruits du pinceau, et parfois la musique des Virgin Prunes, de Tuxedomoon ou celle du Velvet Underground que diffuse une radio clandestine planquée à bord d'une péniche qui sillonne le Rhône.
Entre temps, Gérard s'est installé à Lyon et la rencontre du 3e type à lieu autour d'une salade très verte et étrangement fraîche chez des amis communs, lors d'une soirée ennuyeuse où les convives hésitent entre Donjon et Dragon et parler de rien (avec des mots qui ne veulent surtout rien dire) ou de Katmandou. Comme toute rencontre digne de ce nom, celle-ci sera créative. Cati est séduite par la musique de Gérard et ils décident de créer « un groupe » immédiatement nommé DEUX. Rapidement, ils enregistrent une dizaine de titres : minimaliste, le couloir, sex is business, game and performance, felicita …
En 1982, ils rencontrent François André, savant spécialiste des protéines du lait et victime d'une bactérie mutante qui l'oblige à abandonner la recherche, qui, désireux de se lancer dans le show business, vient de créer un label : André Record. Enthousiaste, François décide de manager et de produire DEUX.
En 1983 sort le premier single : Felicita / Game and performance, pressé à 500 exemplaires et distribué par Emdis, un distributeur spécialisé dans la new-wave et le « rock moderne ».
En 1984, une cassette 9 titres agglomérat est diffusée par Emp via le réseau de productions parallèle qui se développait alors. La même année, DEUX participe à quelques compilations « underground » produisent par Emp et No Unautorized, également diffusées en casettes. André Records produit un second 45 T en 1985 : Paris Orly / Europe. Pas vraiment de retombées. Une télévision, un mini concert… De plus, le label, qui s'est hasardé à produire des choses variées et diverses, fait face à de sérieuses difficultés financières et se voit contraint de cesser sur le champ toute activité. Toutefois, cela n'empêche pas Cati et Gérard de continuer. Créer de la musique est avant tout l'essence même de leur relation. Aussi, les titres s'enchaînent : Everybody's night, le Camion, Uncle Albert, lassitude… De son côté, François André n'a pas baissé les bras et cherche activement des producteurs et des financiers. DEUX enregistre plusieurs titres en studio, mais le contrôle leur échappe et les titres sont tellement massacrés, « variétisés », « dancisés », « topcinquantisés » « nimportequoi-tisés », que le groupe refuse catégoriquement de sortir un premier mini-lp six titre, pourtant entièrement enregistré et mixé, et un nouveau maxi “spécial discothèque“ dont nous ne parlerons pas par pudeur…
Au début des années 90, François André crée une nouvelle société avec un producteur Italien de new beat. DEUX part alors enregistrer en Italie dans le studio du groupe Righeira qui connut un franc succès avec Vamos à la playa. Deux maxi 45 T sont produits coup sur coup, et les remix de Florian “DJ in roma“ cartonnent dans les discothèques italiennes et belges. Mais les ventes ne suivent pas. Sans doute parce que les remix italiens ont éloigné la musique de DEUX de la musique de DEUX… Mais Cati et Gerard continuent et de nouveaux titres voient le jour : Corrida, Out of time, Last War, Ministry of love… et Gérard compose de la musique pour des films documentaires. Cati peint des anatomies et des monstres et réalise quelques performances à Paris - dont une mémorable à la boutique Démonia -, où elle s'est installée après que son quartier ait été détruit et ses fresques réduites en décombres. Au cours des années 90, DEUX enregistre, sous un autre nom que nous tairons, deux maxi CD très techno sur un label Lyonnais spécialisé dans la « dance ». Là encore, diffusion exclusive en discothèque et une distribution limité aux boutiques spécialisées dans les tam-tams hypnotiques, font que ces enregistrements sombrent rapidement dans l'oubli. Sans regret, ce n'était pas vraiment DEUX.
Finalement, il faudra attendre 2006 pour que DEUX se décide à sortir enfin un album composé de 15 titres, entièrement remastérisés. 15 titres qui auraient pu changer le monde, mais qui ne l’ont pas fait… Et dire que pendant tout ce temps la télé fonctionnait et qu'on la regardait pas.